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L'ADVERSAIRE
>> Extraits >> Les premières
lettres
Première lettre de l'auteur échangée avec Romand qui a pour but de recueillir l'avis de Romand vis-à-vis de la publication d'un livre sur le drame dont il a été l'acteur.
« Paris, le 30 août 1993
Monsieur,
Ma démarche risque de vous heurter. Je cours ma chance tout de même.
Je suis écrivain, auteur à ce jour de sept livres dont je vous envoie le dernier paru. Depuis que j'ai appris par les journaux la tragédie dont vous avez été l'agent et le seul survivant, j'en suis hanté. Je voudrais, autant qu'il est possible, essayer de comprendre ce qui c'est passé et en faire un livre --- qui, bien sûr, ne pourrait paraître qu'après votre procès.
Avant de m'y engager, il m'importe de savoir quel sentiment vous inspire un tel projet. Intérêt, hostilité, indifférence ? Soyez sûr que, dans le second cas, j'y renoncerai. Dans le premier, en revanche, j'espère que vous consentirez à répondre à mes lettres et peut-être, si cela est permis, à me recevoir.
J'aimerais que vous compreniez que je ne viens pas à vous poussé par une curiosité malsaine ou par le goût du sensationnel. Ce que vous avez fait n'est pas a mes yeux le fait d'un criminel ordinaire, pas celui d'un fou non plus, mais celui d'un homme poussé a bout par des forces qui le dépassent, et ce sont ces forces terribles que je voudrais montrer à l'œuvre.
Quelle que soit votre réaction à cette lettre, je vous souhaite, monsieur, beaucoup de courage, et vous prie de croire à ma très profonde compassion.
Emmanuel Carrère »
« Bourg-en-Bresse, le 10/09/95
Monsieur,
Ce n'est ni l'hostilité ni l'indifférence à vos propositions qui expliquent un si long retard dans ma réponse à votre lettre du 30/8/93. Mon avocat m'avait dissuadé de vous écrire tant que l'instruction était en cours. Comme celle-ci vient de s'achever, j'ai l'esprit plus disponible et les idées plus claires (après trois expertises psychiatriques et 250 heures d'interrogatoire) pour donner une éventuelle suite à vos projets. Une autre circonstance fortuite m'a vivement influencé : je viens de lire votre dernier livre, La Classe de neige, et je l'ai beaucoup apprécié.
Si vous souhaitez toujours me rencontrer dans une volonté commune de compréhension de cette tragédie qui reste pour moi une actualité quotidienne, il faudrait que vous fassiez une demande de permis de visite adressée à M. le procureur de la République et accompagnée de deux photos et d'une photocopie de la carte d'identité.
Dans l'attente de vous lire ou de vous rencontrer, je vous adresse tous mes vœux de succès pour votre livre et vous prie de croire, Monsieur, à toute ma reconnaissance pour votre compassion et mon admiration pour votre talent d'écrivain.
A bientôt, peut-être.
Jean-Claude Romand »
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